Voltaire (l'invitant à s'asseoir sur une chaise) : Asseyez-vous ! Que me vaut votre visite, mon très cher ami ? Mais avant tout laissez moi vous proposez quelque rafraîchissement.
(Voltaire se saisit d'une coupe richement ciselé tandis que face à lui Rousseau se crispe.)
Rousseau : Monsieur, je me dois de refuser ce luxe superflu dont bien peu ont l'usage.
(Il contemple la coupe d'un air méprisant tandis que Voltaire la remplit néanmoins de vin.)
Voltaire : Et bien dans ce cas je prendrai seul mon rafraîchissement. Alors que me vaut le plaisir immense d'une visite si prestigieuse ?
Rousseau : Je suis venu, Monsieur, me confronter à notre maître et à mon plus grand détracteur.
(Voltaire reste souriant, quelque peu narquois, et observe Rousseau d'un œil rieur.)
Voltaire : Voyons, Monsieur, moi, votre détracteur ? Vous ne pouvez dire cela, j'ai la plus grande admiration pour votre mode de vie et vos idées pour le moins… originales.
Rousseau: Monsieur, cessez vos incessantes moqueries… si je vous admire, je ne vous aime pas et vous ne m'aimez pas davantage. Nos mœurs sont par trop différentes, je le crains.
(Voltaire fait mine d’essuyer une larme inexistante, tandis que Rousseau toujours grave le regarde intensément.)
Voltaire : Mais que reprochez-vous donc à un vieil homme qui aime vivre entouré de toutes les commodités et discuter avec ses bons amis à l’approche de ses derniers instants ?
Rousseau : Je lui reproche, Monsieur, de s'éloigner du véritable bonheur et de n'avoir point tout à fait compris la véritable nature des hommes.
Voltaire : Vous savez, mon bon Jean-Jacques, vous êtes pour moi une continuelle source de surprise. Vous vous présentez chez moi en m'appelant « maître » et me reprochez maintenant les idées que j'ai passé ma vie à défendre !
Rousseau : Monsieur…
Voltaire : Mon bon ami…
Rousseau : Comment ce peut-il qu'un homme qui voit avec une telle clarté les défauts de notre société, mène une existence si éloignée des préceptes qui permettrait à l'homme de retrouver son bonheur ?
Voltaire : Je ne vois pas ce qui me permettrait d'être plus heureux que ce que je ne le suis, lorsque je m'ennuie je peux contempler quelques unes de mes plus belles toiles de maître ou bien me délecter de la lecture de l'un de vos fameux discours. Lorsque je suis fatigué d'une dure journée, je peux me prélasser dans un bain chaud avant de me couvrir de confortables soieries.
(Rousseau lève les yeux au ciel, fait un geste large et théâtral avec sa main comme pour souligner la futilité de tout ce dont Voltaire lui parle. Voltaire s'arrête, le regarde avec dédain, contemple sa tenue improbable.)
Rousseau : Monsieur, il vous faudra bien admettre que tout ce que vous citez comme source de bonheur n'est que corruption pour l'humanité, le luxe dont vous vous parez et dans lequel vous vivez ne mène qu'à l'avidité et à l’orgueil. Deux maux qui accablent l'humanité et qui ne contribuent nullement à son bonheur ! Le mot « luxe » provoque en moi un sentiment de révolte, et il devrait en être de même pour vous ! Un homme qui a fait dire au nègre du Surinam «C'est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe... » ne peut pas ne pas se rendre compte que sa vie de confort n'entraîne que le malheur d'une grande part de l'humanité !
Voltaire : Je vous arrête, mon bon Jean-Jacques, vous me faites trop d'honneur en me prêtant des écrits qui ne sont pas de moi, je ne suis point responsable de ce que peut penser le Docteur Ralph !
(Voltaire, toujours tout sourire, continue de darder un regard perçant et moqueur sur Rousseau, il semble se délecter de son énième pique. Rousseau pour sa part rougit, gardant difficilement l'air grave qu'il arbore depuis le départ de la conversation, et semble tout prêt d’exploser.)
A SUIVRE