EXTRAITS D'UN DIALOGUE THEATRAL
ENTRE VOLTAIRE ET ROUSSEAU
A LA MANIERE DE JEAN-FRANCOIS PREVAND
VOLTAIRE (l’invitant à s’asseoir sur une chaise) : Asseyez-vous ! …
ROUSSEAU (s’asseyant en face de Voltaire) : Merci, et je vous remercie également de notre querelle originelle.
(Voltaire prend un air interrogateur)
ROUSSEAU : Vous souvenez vous de notre premier échange ? Votre réflexion à propos de la distinction entre l’Homme et l’animal m’a soumis à des interrogations.
VOLTAIRE : Distinction bien maigre pour certains...
(...)
ROUSSEAU (regardant le buste sculpté représentant Voltaire) : Nous savons que la liberté est considérée comme étant une des clés du bonheur.
VOLTAIRE : Où voulez-vous en venir ?
ROUSSEAU : Je ne fais pas exception. Il me semble donc que l’animal, mille fois plus libre que nous, est plus heureux. Cela ne vous plairait-il pas, d’être aussi libre, Monsieur ?
VOLTAIRE (une expression de dégoût sur le visage chuchote) : J’avais vu juste.
ROUSSEAU : Excusez-moi ?
VOLTAIRE (reprenant ses esprits) : Ma vie est emplie de bonheur. Qu’aurais-je donc à envier à une vache ?
ROUSSEAU : La vache est-elle orgueilleuse ? A-t-elle le goût du paraître ?
VOLTAIRE : Sait-elle seulement ce qu’est l’orgueil ?
ROUSSEAU : Certainement pas, c’est ce qui rend l’animal si bon.
(Attente. Voltaire réfléchit. Non pas à l’argumentation de son interlocuteur, mais aux idées loufoques auxquelles il semble croire.)
VOLTAIRE : Soit. Si l’animal ne connait pas l’orgueil, comment concevoir qu’il connaisse autre chose ? Selon quoi vous basez vous pour le qualifier d’heureux ?
ROUSSEAU : L’animal n’a pas de lois auxquelles il doit obéir ! Il est libre d’agir à sa guise, il est heureux, il ne peut en être autrement.
VOLTAIRE : S’il n’a pas conscience de sa condition, du bonheur même ? Il peut assurément en être autrement Monsieur.
ROUSSEAU : Pour répondre à votre question, il est selon moi heureux car l’animal ne connait l’hypocrisie, la vantardise, la frivolité, le goût du luxe et autres qualités propres à l’Homme.
VOLTAIRE : Quel mal y a-t-il à vouloir paraître ?
ROUSSEAU (surpris par le manque de réflexion de Voltaire) : Monsieur, ceci découle de la société !
VOLTAIRE : C’est bien le sujet, la société est faite ainsi et maintient l’équilibre de l’Humanité mon cher ami. Je suis et vous êtes la société Jean-Jacques. Vous m’éclairez sur ce que l’animal ne connait pas, alors, que connait-t-il ?
ROUSSEAU : Il connait ce qui lui est essentiel pour vivre, il est simple et vit simplement.
(...)
(Rousseau fixe le buste avec incompréhension.)
ROUSSEAU : Celle-ci nous corrompt, voyez cette vanité dont elle fait preuve.
VOLTAIRE : Vous connaissez ma vision de la société et savez ce que j’en pense. Il est impossible de connaitre le bonheur seul ! Qui l’encouragerait ? Le partagerait ? Le verrait ?
ROUSSEAU : Une perspective qui nourrirait votre esprit, élèverait votre âme et guérirait vos maux vous échappe. La nature ne vous serait que bénéfique ! Vous reprendriez vie Monsieur.
VOLTAIRE : Notre enfance est loin de nous Jean-Jacques, le monde est en mouvement ! Grandissez, aimez et vivez avec nous ! Les fleurs sont faites pour être vues, pour être offertes en société comme vous l’avez bien compris. Elles sentent certes mais nous ressentons. Nous ressentons !
ROUSSEAU : Je préfère le parfum de l’un à la malhonnêteté de l’autre.
VOLTAIRE : Soit. Nos lois nous laissent préférer. Pourquoi n’allez-vous donc pas partager vos ressentis avec vos fidèles compagnons à quatre pattes ? Le bonheur n’est sûrement pas universel… Vous pensez avoir le vôtre, j’ai le mien, soyons heureux. Loin.
(Rousseau sort de la pièce sans un mot ni un regard envers celui qu’il considérait comme leur maître à tous.)