En 1555, l’imprimeur Jean de Tournes publie à Lyon un recueil des Œuvres de Louise Labé.
En 2015, les lycéens d’i-voix découvrent à Brest un manuscrit ignoré : les Sonnets de Louise Labé écrits de la main de la Belle Cordière elle-même !
Or ce manuscrit présente d’intéressantes variantes par rapport au recueil alors publié.
Voici ces variantes enfin révélées, avec annotations par les lycéens eux-mêmes !
Sonnet 3 (1555)
Ô longs désirs, ô espérances vaines,
Tristes soupirs et larmes coutumières
À engendrer de moi maintes rivières,
Dont mes deux yeux sont sources et fontaines !
Ô cruautés ô durtés inhumaines,
Piteux regards des célestes lumières,
Du coeur transi ô passions premières
Estimez-vous croître encore mes peines ?
Qu'encor Amour sur moi son arc essaie,
Que de nouveaux feux me jette et nouveaux dards,
Qu'il se dépite et pis qu'il pourra fasse :
Car je suis tant navrée en toute part
Que plus en moi une nouvelle plaie
Pour m'empirer, ne pourrait trouver place.
Ô longs désirs, ô espérances vaines,
Fatals soupirs et larmes familières, (1)
À engendrer en moi maintes rivières,
Dont mes deux yeux sont sources et fontaines !
Ô cruautés ô peines inhumaines, (2)
Perçants regards des célestes lumières, (3)
Du cœur transi ô passions premières
Estimez-vous croître encore mes peines ?
Que ton Amour de son venin m'accable, (4)
Que nouveaux feux me jette et nouveaux fards, (5)
Qu'il se dépite face à l'évidence : (6)
Car je suis tant navrée en toute part
Que plus en moi une nouvelle plaie,
Pour m'empirer, ne pourrait trouver place.
1. Louise Labé avait à l'origine écrit « Tristes soupirs ». Cependant ce mot n'était sans doute pas assez fort pour exprimer sa douleur face à l'attente. Tout en restant dans l'expression d'une infinie tristesse, l'auteur a alors décidé de lui donner une dimension plus forte, une dimension mortelle. Le mot « fatals » a ainsi été utilisé afin d'insister sur la douleur qu'elle ressent et qui la ronge chaque jour. Cette idée de quotidienneté est d'ailleurs reprise à la fin du même vers. D'abord exprimé par le mot « coutumières », Louise Labé a sûrement souhaité utiliser une expression voulant à la fois exprimer l'habitude mais aussi la familiarité. C'est pour cela qu'elle a hésité avec « larmes familières ». En effets, Labé nous confie que ses « larmes » ne sont pas seulement quotidiennes, ne sont pas seulement une habitude, elles sont également familières, comme si elles la connaissaient, l'accompagnaient, comme si elles faisaient au final partie intégrante de son être.
2. « Peines » vient remplacer « durtés » afin de contrebalancer l'impact assez violent du mot « cruautés » en début de vers. Ainsi l'auteur, en utilisant un mot plus « doux », exprime sa grande souffrance. En effet, sa souffrance est telle que même les peines les plus insignifiantes lui procurent un sentiment d'une immense détresse qu'elle qualifie par la suite d'inhumaines.
3. Le mot « perçants » vient appuyer sur l'effet des « regards des célestes lumières ». Ces regards qui viennent littéralement vous transpercer comme le fait la lumière.
4. « Que ton Amour de son venin m'accable » : l'intégralité du vers a été modifié, nous retrouvons ici l'idée de mortalité. L'auteur a sans doute souhaité faire résonner ce vers aux « fatals soupirs » que l'on retrouve un peu plus haut.
5. « Dards » a été remplacé par « fards » afin de relier l'amour passionnel et les « feux » qui en découlent. Le mot « fard » désigne en effet le rouge qui nous monte aux joues lorsque nous sommes gênés ou embarrassés. Ce mot désigne également la chaleur qui nous envahit lorsque nous sommes complètement chamboulés par l'amour qui nous submerge à l'égard d'une personne.
6. « Face à l'évidence » : expression qui exprime quelque chose de beaucoup plus clair que la précédente « et pis qu'il pourra fasse ». Louis Labé veut bien nous faire comprendre que ce qui suit est l'évidence, la triste réalité des faits : les dégâts engendrés par l'amour.