Une des particularités marquantes du spectacle de David Bobée est le décor. En effet, la scène est un plateau recouvert d'eau, sur lequel de petites plateformes de bois clair sont disposées, en forme de quais au début de la pièce, format qui sera amené à beaucoup évoluer durant le spectacle.
Une présence symbolique
Cette scène aquatique a une importance quasi métaphorique. La première interprétation est évidente : il s'agit de représenter et figurer les canaux de Venise sinon son ambiance. Symboliquement, l'eau est également le reflet de l'âme. Ainsi, toutes les éclaboussures produites par les jeunes hommes en se chamaillant figurent leur fougue, leur énergie, leur jeunesse. Lorsque Gennaro se laisse emporter par la colère, il frappe la surface avec fureur et les gerbes d'eau scintillant dans la lumière des projecteurs figurent alors l'énergie dévastatrice qui court dans son corps, les tourmants impétueux qui agitent son âme.
Les éclaboussures trahissent cette frénésie impulsive et rageuse à un autre moment de la pièce, lors d'une scène très marquante. Il s'agit du moment où les amis de Gennaro le surprennent en train de parler à Lucrèce de sa mère, et déclinent chacun leur nom puis les membres de leur famille assassinés par les Borgia, avant de crache à Lucrèce son nom à la figure. Et ils ne s'arrêtent pas là : pour montrer leur colère et leur rancoeur, ils font cercle autour de Lucrèce et exécutent une sorte de danse, lui tournant autour. Ils frappent tous la surface de l'eau qui explose en gerbes argentées semblables à de l'écume, donnent des coups de pied et de poing d'une rare violence, l'éclaboussent furieusement d'eau et de honte en l'invectivant. Pourtant, malgré l'acharnement et l'intensité de leurs assauts, ils semblent s'amuser, prendre plaisir à martyriser ainsi la femme coupable de tant de crimes. Lucrèce tombe à genoux, leur hurlant d'arrêter. Ainsi ce moment est-il l'exact contraire de cette réplique de Gubetta : "Ah ! Mon dieu ! Il pleut des pardons ! Il grêle de la miséricorde ! Je suis submergé dans la clémence !"
C'est une scène percutante, d'une rare intensité.
Un autre fleuve peut être associé à cette scène d'eau : le Cocyte. Il est alimenté par les larmes des voleurs, des criminels et de tous ceux qui se sont mal conduits de leur vivant. On imagine aisément les larmes de Lucrèce l'entretenir...
La fonction de cette eau n'est pas seulement symbolique, elle a également un rôle très esthétique. Lorsque les projecteurs l'éclairaient de haut notamment : le plafond de la salle se parait des ondulations fantomatiques de l'eau. Ses ondoiements avaient un aspect irréel, donnaient l'impression d'être dans un aquarium, et étaient magnifiques... Le spectacle comportant de nombreuses scènes de danse, les gestes de acteurs étaient suivis d'un sillage de gouttelettes scintillantes qu'accrochait la lumière claire, donnant aux scènes concernées un côté presque féerique. Enfin, ce spectacle nous a permis de voir des "rideaux de pluie". Au sens propre. En effet, à un moment de la pièce, un rideau noir est descendu sur scène pour s'enfoncer intégralement dans l'eau. Lorsqu'il a été remonté, il dégoulinait de centaines de gouttes formant comme de longs fils de pluie, pleuvant magnifiquement pendant de longues minutes.